Que l’écriture, et plus précisément le roman, soit le lieu de la vérité je l’ai compris depuis un moment (mais pas si longtemps que ça). En effet dans la vie on ne peut pas dire la vérité, non pas parce qu’on n’est pas assez coura- geux pour le faire, comme je le pensais autrefois (quand je la disais), mais parce que la vérité est méchante, qu’elle fait mal et surtout ne sert à rien. Nous ne pouvons rien dire aux autres qu’ils ne sachent déjà, qu’ils ne soient pas déjà prêts à accepter. « Les conseils ne servent qu’à ceux qui les donnent et seulement dans la mesure où ils soulagent leur conscience » écrit Trevanian dans Shibumi.
L’endroit pour dire la vérité est l’art. Là on peut se lâcher. Le fait que ce ne soit pas « pour de vrai » protège l’auteur et lui permet d’aller jusqu’au bout des choses.
L’écrivain Zadie Smith a rassemblé 10 règles pour écrire un roman. Les voici:
1 Enfant, assurez-vous de lire beaucoup de livres. Passez plus de temps à ça qu’à toute autre chose.
2 En tant qu’adulte, essayez de lire votre ouvrage comme le lirait un étranger, ou mieux encore, comme le ferait un ennemi.
3 N’idéalisez pas votre « vocation ». Vous pouvez écrire de bonnes phrases, ou vous ne pouvez pas. Il n’existe aucun « style de vie de l’écrivain ». Tout ce qui importe c’est ce que vous laissez sur la page.
4 Évitez vos faiblesses. Mais faites-le sans vous dire que les choses que vous n’arrivez pas à faire n’en valent pas la peine. Ne masquez pas votre manque de confiance en vous avec du mépris.
5 Laissez un délai convenable entre l’écriture et la relecture.
6 Évitez les bandes, les groupes et autres cliques en tout genre. La présence d’une foule ne rendra pas meilleur ce que vous avez écrit.
7 Travaillez sur un ordinateur qui n’est pas connecté à Internet.
8 Préservez le temps et l’espace dans lesquels vous écrivez. Gardez tout le monde à distance, y compris les personnes qui comptent le plus pour vous.
9 Ne confondez pas les honneurs avec l’accomplissement.
10 Dites la vérité, quel que soit le voile dont vous la couvrez – mais dites-la. Résignez-vous à l’éternelle tristesse qui vient du fait de ne jamais être satisfait.
A part les règles 5 et 7 avec lesquelles je ne suis pas du tout d’accord – chacun a sa méthode – et la 1, que je considère comme une incitation à lire dès l’enfance (leur devoir principal est, à mon avis, de grimper aux arbres), celles que j’apprécie surtout sont les règles d’humilité (3, 4, 6, 9). J’aime son intransigeance quand elle dit de ne pas prendre la grosse tête, de ne pas se laisser griser par le succès et de rester lucide pour juger sévèrement ce qui est écrit. Elle voit le risque des groupes et des cliques en tout genre qui s’accordent pour dire que quelque chose est bon ou mauvais et finissent par donner une image déformée de la valeur de l’œuvre. D’ailleurs on connaît la fameuse fable du renard et des raisins : il est si facile de dédaigner ce que nous ne parvenons pas à faire !
Le dernier point concerne la vérité. La belle romancière aux yeux mélancoliques associe la vérité à la tristesse et à l’insatisfaction. Peut-être parce que comme l’écrit L.F. Céline :
La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas.
La vérité de ce monde c’est la mort.
Il faut choisir, mourir ou mentir.